Yves Saillen

Enseignant de méditation et de contemplation selon la tradition Via Integralis, Yves Saillen collabore depuis des années avec les jésuites de Suisse. Il a été formé par le Père jésuite et maître zen Niklaus Brantschens -fondateur du Centre de spiritualité et de dialogue entre les religions et les cultures Lassalle-Haus Bad Schönbrunn (Zug)- dont il a été l’élève. Le Père Niklaus Brantschen sj l’a autorisé à enseigner. Yves Saillen est membre enseignant de l’école de méditation Via Integralis depuis 2006.  Il propose des journées, des week-ends d’initiation et de pratique (pour les dates, consultez la rubrique retraites et sessions), de même que des semaines d'approfondissement.


Origine d'une pratique

 

La rencontre de deux cultures -chrétienne et bouddhiste- met à jour à la fois leurs similitudes et leurs différences. On peut comparer les effets de cette rencontre à nos yeux qui conjuguent leur vision pour donner au champ visuel sa profondeur. Il faut se rappeler que le syncrétisme était vivace jusqu’à la réforme et a contribué à former nos religions chrétiennes.

L’école Via Integralis a été fondée en 2003 par sœur Pia Gyger de la congrégation Katharina-Werk et le Père jésuite Niklaus Brantschen sj. Tous deux ont découvert la pratique et la voie de l’expérience zen grâce au Père jésuite Hugo Enomiya Lassalle sj (1898-1992). Ce-dernier a été, avec d’autres de sa génération, un précurseur dans ce domaine. Après la première guerre mondiale, il s’est rendu au Japon afin de poursuivre les efforts d’évangélisation de ses prédécesseurs. Pour ce faire, il a appris le japonais. Voulant mieux comprendre la culture japonaise, il s’est intéressé au bouddhisme zen et a participé à des sessions intensives de plusieurs jours. Ce fut pour lui une révélation qui l’amena à pratiquer intensément zazen, à devenir élève du Maître zen Yamada Koun Roshi (1907-1989), membre de l’école sanbo kyodan, puis à enseigner lui-même au Japon et ailleurs.

La vie du Père Hugo Enomiya Lassalle sj est un témoignage que le dialogue interreligieux ne conduit pas à une perte d’identité, mais au contraire à un enrichissement.

Sœur Pia Gyger et Père Niklaus Brantschen sj ont eux-mêmes pu bénéficier pendant des années de l’enseignement de Maître Yamada Koun Roshi, un homme habité par la conviction que le zen est au service des autres religions et qui, pour la petite histoire, a inspiré un personnage du manga ultra-populaire Dragon Ball.

Le Père Niklaus Brantschen sj reçut de Maître Yamada Koun Roshi après des années de pratique l’autorisation d’enseigner. Lors de ses sessions de méditation au Japon, il a fait la connaissance de sœur Pia Gyger. En tant que responsable spirituelle de sa congrégation, elle avait décidé en accord avec ses consœurs de suivre l’enseignement de Maître Yamada Koun Roshi. Il décéda avant qu’elle eût pu finir sa formation. Elle décida alors de l’achever auprès du Maître zen Aitken Roshi, qui l’autorisa à enseigner. Sœur Pia Gyger et Père Niklaus Brantschen sj ont été ordonnés Maître zen par le Maître zen Bernie Glassmann Roshi (1939-2018), qui a fondé un centre à New-York.

 

Voie chrétienne du zen

 

À leur demande, Maître Bernie Glassmann Roshi leur accorda l’autorisation de fonder une nouvelle ligne chrétienne qui rend accessible la pratique du chemin de l’expérience zen aux chrétiens.
Le Père Niklaus Brantschen sj témoigne dans son livre Niklaus Brantschen: Auf dem Weg des Zen - Als Christ Buddhist, 2002: «Je suis chrétien et aimerais le devenir toujours plus, en me laissant saisir de plus en plus par Jésus-Christ. En même temps, toutes ces années de pratique du zen m’ont donné une expérience et vision du monde qui est semblable à celle de Bouddha. De ce point de vue, je suis bouddhiste.»

Soeur Pia Gyger et Père Niklaus Brantschen sj ouvrirent un centre de formation et enseignèrent alors assidûment et avec succès. Ils cheminèrent sur cette voie alliant une expérience zen authentique à celle d’un disciple du Christ. Leurs vocations d’acteurs d’une rencontre entre deux vieilles traditions religieuses sont à l’origine d’une nouvelle voie d’approfondissement spirituel qui a pris forme dans l’école Via Integralis. Elle se caractérise par une expérience profonde de l’unité, des différences et de la singularité de la réalité humaine.

 

Singularités

 

Sous la forme d’une association, l'école Via intégralis promeut la méditation, la contemplation et la formation d’enseignants. Elle est le point de jonction entre l’expérience mystique chrétienne et la pratique de zazen, assise en méditation dans le recueillement du coeur-esprit. Celles et ceux qui pratiquent régulièrement cette forme de méditation silencieuse, cheminent sur une voie spirituelle qui les amènent à expérimenter le mystère divin au cœur de leur personne.

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Zazen joue un rôle important dans la tradition bouddhiste. De manière idéale, elle rassemble, réunit les forces du corps, de l’esprit et de l’âme, les concentrent et permet à l’être humain, grâce à un exercice constant, d’expérimenter l’Unité. La pratiquante ou le pratiquant habite la respiration, abandonne tous les concepts, les images et les pensées et revient toujours à la respiration. Le cadre, les rituels, la longueur des périodes de méditation, les sessions d’un à plusieurs jours sont organisés d’après le modèle zen.

Ce qui nous distingue de nos sœurs et frères bouddhistes, c’est la manière de mettre en mots les expériences vécues lors de la méditation. Cela nous permet de mieux comprendre et d’accéder à la richesse de la mystique chrétienne, ainsi que de redécouvrir l’enseignement de certains de leurs représentants éminents comme: Maître Eckhart, Jean Tauler, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Theillard de Chardin sj, Hugo Enomiya Lassalle sj et d’autres…

Selon le Père Hugo Enomiya Lassalle sj: «Théoriquement chaque être humain peut s’éveiller. Il s’agit de devenir Un. Mais le fameux ego, que nous nommons le petit ego, empêche l’homme d’être véritablement un.» Et encore:

«Toutes choses, aussi la plus petite goutte d’eau ou le plus petit instant, sont identiques avec l’univers. Nous ne le savons que théoriquement. De ce fait, cette vérité est comparable à un gâteau de riz, qui est peint sur du papier et qui n’a aucun goût. Lors de l’éveil, nous vivons cette vérité. Il nous donne une grande sécurité et un bonheur insoupçonné.»

Pour les chrétiens, la méditation est donc le chemin qui mène à l’expérience de l’Unité avec Dieu et de son amour pour toute la création. Alors que pour les bouddhistes, il s’agit de faire l’expérience de notre nature véritable et d’une vie de compassion envers tous les êtres.

 

Enseignement

 

Nous savons beaucoup de choses. Les informations générées par l’activité humaine augmentent de manière exponentielle. Notre savoir seul ne suffit plus à résoudre les problèmes complexes auxquels nous avons à faire. Seule une pratique spirituelle assidue intégrant toutes les facultés de l’homme est apte à relever ce défi.

La réponse donnée par notre tradition chrétienne diffère de celle de la tradition bouddhiste. La voie que nous propose la pratique de zazen fait preuve d’un génie inconnu dans notre culture occidentale. Comme aucune autre pratique spirituelle, elle va directement à l’essentiel. Cet essentiel fonde et vivifie les deux traditions.

La mystique rhénane de Maître Eckart et Jean Tauler propose comme cheminement la pratique du détachement: «Nous disons donc que l’homme doit être aussi dépris de son savoir propre qu’il l’était lorsqu’il n’était pas» . Le non-savoir est une attitude qui ne veut ni plus ni moins que ce qui est. Il ne s’agit pas de se soumettre à des pratiques ascétiques sévères, mais plutôt d’adopter une attitude d’ouverture liée à la conscience des limites humaines. Cette attitude de non-savoir, pratiquée avec régularité, ouvre notre champ de conscience, la porte de l’expérience de ce qui dépasse notre entendement, mais pas notre capacité d’être. Plus nous réalisons la relativité des phénomènes, plus il nous devient possible de découvrir l’Absolu, Dieu.

Maître Eckhart nous conseille:

«Mais, si je dois connaître ainsi Dieu sans intermédiaire, il faut absolument que je devienne lui et qu’il devienne moi... Comment donc dois-je aimer Dieu? - Tu dois l’aimer en tant qu’il est un Non-Dieu, un Non-Intellect, un Non-Personne, un Non-Image. Plus encore: en tant qu’il est un Un pur, clair, limpide, séparé de toute dualité.»

Le plus grand don que nous pouvons faire est l’abandon de nous-mêmes pour mieux servir le monde.

S’éveiller à l’Un n’est pas une fin en soi, mais demande à être intégré dans le quotidien et à nous rendre plus présent au monde. Selon St Thérèse d’Avila: «Je vous ai déjà dit que la sérénité, qu’éprouvent les âmes à l’intérieur d’elles-mêmes, leur est donnée afin qu’elles en aient moins besoin dans la vie extérieure et qu’elles puissent d’autant plus facilement y renoncer. Le plus important est d’agir d’après la volonté de Dieu et non pas la quiétude en présence de Dieu.»

Dans la tradition bouddhiste, il s’agit moins de se préoccuper du sens de la vie, que de pratiquer l’assise pour se libérer de l’emprise de l’ego et de la souffrance. Par une pratique régulière et un engagement entier, l’homme s’éveille, ce qui lui ouvre la porte de la libération. Cet effort ne conduit pas l’homme à rejeter les phénomènes, mais au contraire à les accepter tels qu’ils sont. Au cours des siècles, cette pratique s’est affirmée par sa simplicité et sa subtilité. Elle s’intègre dans notre tradition chrétienne, la vivifie et permet une nouvelle approche de la mystique chrétienne.

Aussi bien dans notre tradition chrétienne, que dans la tradition bouddhiste, la foi joue un rôle important. Elle concrétise pour les chrétiens la confiance en la Présence de Dieu, pour les bouddhistes la confiance dans l’éveil du Bouddha.

 

Pratique de zazen

 

L’école Via integralis propose un cadre propice à celles et ceux qui souhaitent pratiquer cette voie.

L’assise silencieuse ouvre un espace de recueillement et de bienveillante acceptation. Nous sommes fermes dans notre exercice et revenons toujours au souffle qui va et vient. En même temps, nous ne voulons rien, nous laissons faire, nous nous laissons guider par ce souffle, nous sommes un avec ce souffle.

Cette voie nous apprend la simplicité et l’authenticité, dans la pratique de l’assise comme dans la vie quotidienne. Elle nous amène pas à pas à nous dépouiller, à questionner nos vérités, nos certitudes, nos concepts de la vie, de nos vies, de nos acquis, ainsi que ceux en relation avec Dieu, personnifié par Jésus Christ. Dans le silence de la méditation, s’activent les forces purificatrices. Cette petite histoire illustre l’importance de la pratique du silence qui favorise le silence des sens et de l’esprit.

Un vieil homme passait des heures à prier dans l’église. Un jour le curé intrigué lui demande ce qu’il demande à Dieu. Le vieil homme lui répond qu’il ne Lui demande rien, mais qu’il L’écoute simplement. Le curé veut alors savoir ce que Dieu lui dit. «Rien, lui répond le vieil homme. Il écoute Lui aussi.»

Qu’est-ce qui est véritablement ? Qu’est-ce qu’il y a de vrai? Nous lâchons prise, nous laissons passer les images, pensées, émotions, sans s’y attacher, ni les rejeter et revenons à ce souffle confiants et déterminés.

L’assise immobile ne nous est pas familière, mais nous aide à apaiser le corps et l’esprit pour mieux découvrir ce qui est là. L’agitation dans laquelle nous vivons trouble notre vision de ce qui est.

Il y a plusieurs positions assises. Il est, de ce fait, bien de trouver une position assise pas trop astreignante et qui est adaptée à notre personne. Nous prenons place à l’avant du coussin de méditation ou du petit banc et nous plaçons les jambes en position. Si possible, les genoux et le séant forment un triangle, qui soutient le buste. Le poids du corps devrait être réparti le plus également possible entre ces trois points.

Nous rentrons un peu notre menton vers la poitrine sans pour autant baisser la tête. Nous tendons le cou comme si nous voulions toucher le ciel. Nos oreilles devraient former une ligne avec les épaules et les hanches, notre nez une perpendiculaire avec notre nombril. Après avoir redressé le dos, détendons nos épaules, le dos et le bas-ventre – sans changer de posture. Asseyons-nous droit sans nous pencher ni à droite ni à gauche, ni en avant ni en arrière. Nous plaçons notre main droite sur une de nos cuisses et notre main gauche (tournée vers le haut) sur notre main droite ; les extrémités des pouces se touchent. Nous plaçons la langue en avant contre le palais ; la bouche est fermée, les dents se touchent. Les yeux doivent toujours rester ouverts. Nous respirons doucement par le nez.

L’enseignement et l’accompagnement proposé soutiennent les pratiquantes et pratiquants dans leurs efforts.

Dogen Zenji, un représentant éminent du bouddhisme zen japonais, qui a vécu au XIIIe siècle, formule les éléments importants de l’attitude à prendre dans le texte Fukanzazengi de la manière suivante:

« Pour zazen une pièce silencieuse convient. Mangez et buvez sobrement. Rejetez tout engagement et abandonnez toute affaire. Ne pensez pas “ceci est bien, cela est mal”. Ne prenez parti ni pour ni contre. Arrêtez tous les mouvements de l’esprit conscient. Ne jugez pas des pensées et des perspectives. N’ayez aucun désir de devenir un Bouddha. Zazen n’est pas limité à la position assise ou la position allongée.»

 

[1] Maître Eckhart, Sermon 52, page 147, J. Ancelet-Hustache, Edition du Seuil, Paris 1978
[1] Maître Eckhart, Sermon 83, page 153-154, J. Ancelet-Hustache, Edition du Seuil, Paris 1979